Comment et pourquoi décrypter l’info : Rencontre avec Brieuc Guffens de Média Animation

Nous avons rencontré Brieuc Guffens, animateur en éducation média responsable des publications chez Media Animation, une association  d’éducation permanente reconnue spécifiquement pour l’éducation aux médias. Cette association se veut également être un centre de ressources dont la mission est de former des enseignants, éducateurs ou pédagogues afin de développer l’esprit critique face à la vie médiatique.

D’où est venu la nécessité de créer un le dossier critiquer l’info : 5 approches pour une éducation aux média ?

L’initiative nous a semblé évidente puisque c’est un thème qui a beaucoup occupé les débats ces dernières années. Comment s’informe-t-on, se « mal-informe », se surinforme ? Aujourd’hui nous sommes beaucoup trop bombardés d’informations, chacun éprouve beaucoup de difficultés à faire le tri et à comprendre ces informations.

Vis-à-vis de la jeunesse, les journalistes, chercheurs et pédagogues se sont questionnés sur comment faire pour que les jeunes s’informent correctement, analysent l’information et la comprennent. De fil en aiguille, notre travail s’est fortement centré sur les fake news, les fausses informations. Nous avons remarqué qu’il y avait beaucoup de panique autour de ce thème. Que fait-on de toutes ces informations qui apparaissent sur nos fils d’actualité mais dont nous ne sommes plus du tout sûrs de leur véracité. Nous nous sommes demandés chez Média Animation comment fait-on aujourd’hui pour digérer l’information ? Comment la considérer ? Sur base de cette réflexion, nous avons rassemblé dans un seul ouvrage 5 pistes différentes pour aborder l’info en réponse à toute une série d’inquiétudes de la société.

Quels sont ces 5 approches pour analyser l’information ?

Le principe de ces 5 approches est de se dire qu’une information peut être analysée selon une démarche ou une autre, voir même d’en combiner plusieurs pour la décrypter.

La première est celle dont on parle le plus :  Le Fact Checking (la vérification des faits)

Elle permet de mener une recherche, une enquête. C’est ce qu’on appelle vérifier les sources, comparer les différentes personnes qui relayent une même information pour s’assurer qu’elle soit vraie ou fausse.

On a souvent l’impression que cette approche est la seule pourtant on se rend compte qu’elle est pleine de limites. Tout d’abord, si on voit une information que l’on considère vraie, pourquoi irions-nous la vérifier ? Ensuite, si on devait vérifier toutes les informations reçues dans nos flux d’actualité, on deviendrait fou, on ne ferait plus que ça de notre vie. De plus, l’information ce n’est pas que des éléments vrais ou faux.

La 2ème approche consiste à observer le média.

Elle permet de décortiquer comment l’info a été racontée. Si on observe les couleurs, la musique, le montage, on peut analyser comment les informations nous sont apparues. Comment le journaliste ou l’auteur nous a raconté l’info. Cela se fait par observation du storytelling. Une info est élaborée pour qu’on clique dessus, il faut qu’elle soit attrayante, qu’elle suscite notre intérêt. Il faut qu’elle soit esthétique, choquante ou frappante.

Cette approche-ci consiste à se demander en quoi la forme influence notre perception de l’information.

La 3ème approche est dans l’idéologie, de la politique, de la propagande.

Il s’agit de se demander à qui sert cette information ? Est-ce que cette info est sous influence ? Pour faire quoi ? Quel est son but ? Est-ce qu’elle porte un message politique ? Y a -t-il un intérêt économique ? Qui en tire un bénéfice ?

L’approche 4 : Pourquoi une info me plait ?

Cette approche est plus centrée sur le vécu des personnes que les 3 approches précédentes.
On tente de comprendre pourquoi, moi, avec ma culture, mes croyances, mes expériences j’ai un attrait pour telle information ? Pourquoi même si je sais qu’elle est fausse, j’ai envie d’y croire ? Qu’est ce qui fait que cette info entre en écho avec mes valeurs ?
Cette approche ausculte les biais cognitifs, c’est-à-dire tous les mécanismes de la pensée qui s’activent quand on regarde une info. Qu’elle soit vraie ou fausse, elle nous est utile, elle valorise notre égo ou notre communauté. En tant que personne, nous avons une influence sur la manière de considérer une information. Cette approche se penche sur le fonctionnement du cerveau et des pièges qu’il nous tend.

L’approche 5 : l’information fait société.

Une information tisse du lien social. Vraie ou fausse, elle est relayée, partagée, commentée. L’information nous sert à échanger, à partager nos réflexions avec nos pairs. Une même info va être utilisée différemment selon le groupe de personne qui la partage. Une même information peut donc être partagée et commentée de manière très positive par un certain groupe de personnes et susciter beaucoup de réactions négatives et être totalement rejetée par un autre groupe de personnes.

Ces 5 approches ont été élaborées pour être des outils avec lesquels on peut jongler face à une info qui nous intrigue. Lorsqu’une information fait beaucoup de bruit, qu’elle est reprise par de nombreux médias, notre esprit critique s’active et ces 5 cheminement sont alors utiles pour décrypter ce que nous voyons. L’ambition de ces 5 approches est aussi de démontrer qu’une info fausse est aussi très intéressante à analyser de par les réactions qu’elle suscite.

Quelle conséquence a de ce flux d’informations et comment s‘en prévenir ?

Le pire côtoie le meilleur sur toutes les thématiques imaginables. Cela crée un sentiment d’angoisse. On se sent perdu face à tout ce flux d’informations. Néanmoins, nous constatons qu’une réflexion commence à s’activer dès qu’un sujet fait le « buzz ». On s’attarde sur un sujet d’information à partir du moment où on en parle beaucoup. C’est à ce moment-là que l’internaute va enclencher son esprit critique et commencer à se questionner sur pourquoi on parle beaucoup de ce sujet-là. On analyse dès lors la forme, le média qui la diffuse, on peut faire l’exercice du fact-checking, etc.

Sur des thématiques qui font beaucoup débat, on remarque que les algorithmes vont nous proposer des contenus sur le même sujet et que notre navigation sur internet, notre consommation d’information peut très vite nous mener à une vidéo qui nous propose un point de vue diamétralement opposé. On se retrouve quelque part avec la thèse et l’antithèse d’un sujet devant nos yeux et pour l’internaute, ce n’est pas évident de savoir quoi en penser.

Les algorithmes nous proposent des contenus en fonction de nos comportements. N’est-ce pas dangereux de ne recevoir que des informations qui nous confortent dans nos croyances ? N’y a-t-il pas un risque de perdre la neutralité de l’information ?

Les algorithmes nous proposent des contenus qui plaisent à des gens qui nous ressemblent. C’est un enjeu technologique. La notion de chambre d’écho (c’est-à-dire être baigné par une certaine catégorie de contenu portant un certain message) est effectivement problématique et demande une éducation aux médias. Il faut amener une réflexion pour comprendre le fonctionnement de ces algorithmes et comment les contrer. On doit se rendre compte que ce que l’on voit est nourri par nos clics précédents. Ce n’est pas seulement une machine qui nous propose du contenu, c’est aussi nous qui avons cheminé dans une direction et la machine nous a encouragé à aller dans cette direction. Il est possible de mettre en place des stratégies pour éviter cela. Nous devons être actifs dans notre navigation et notre consommation de contenus en arrêtant de cliquer machinalement sur les liens que la machine nous propose. A titre d’exemple, il faut savoir que 70% des vidéos visionnées sur YouTube sont de vidéos recommandées par la plateforme.  C’est donc un enjeu économique énorme. On remarque également que de plus en plus de personnes se plaignent du fait que lorsqu’on s’intéressent à un sujet, par exemple la seconde guerre mondiale, il ne faut que quelques clics pour tomber sur une vidéo expliquant qu’Hitler n’est pas mort et vit sur une île. Il y a une certaine prise de conscience des internautes du côté « complètement à côté de la plaque » des algorithmes : Ils voient que tu t’intéresses à un sujet, ils te proposent tout et son contraire. L’internaute doit avoir une réflexion critique face à ce qui lui est proposé et emprunter d’autres chemins pour consulter des informations. Il ne doit pas rester dans le confort de sa chambre d’écho.

Quels seraient les pratiques à mettre en place pour emprunter d’autres chemins ?

Beaucoup de gens le font sans s’en rendre compte par exemple en prêtant attention à leurs données numériques. Certains changent de compte ou en créent plusieurs pour « brouiller les pistes ». Cela permet de ne pas toujours être identifié et ramener toutes les données vers un seul compte. C’est une forme de vigilance à avoir. Je pense qu’on a une résistance naturelle car l’être humain ne supporte pas qu’une machine décide pour lui. On devrait aussi aiguiser notre habitude à se dire « Ok, j’ai vu 2-3 vidéos qui me semblaient intéressantes mais maintenant je vais aller dans une autre direction ». Nous décidons du chemin que nous souhaitons prendre.

Mise à part qu’on en parle beaucoup, qu’est ce qui devrait nous alerter de se méfier d’une information ?

Premièrement il faut s’attarder sur des infos où tout et son contraire sont dit, notamment avec les infos très polarisantes. Lorsque deux points de vue opposés se côtoient, nous allons spontanément vers l’information qui nous conforte, qui entre en raisonnante avec nos croyances. C’est justement dans ces circonstances là que notre vigilance doit s’activer et que l’on doit se dire que c’est quand même bizarre que l’on trouve tout et son contraire sur un même sujet d’information.

Notre vigilance doit aussi s’activer lorsque le sujet semble trop extraordinaire pour être vrai. On doit aussi activer cette démarche d’esprit critique auprès d’infos qui traitent de sujets que nous trouvons très importants et sur lesquels on ne doit pas se tromper. Quand on parle d’histoire, quand on relaye les propos des certaines personnalités qui impliquent quelque chose de grave, ou qui abordent une problématique qui nous tient à cœur, alors ça mérite d’être vérifié. Chacun consulte des informations en fonction de ses centres d’intérêt.

Actuellement, beaucoup de journalistes/médias traitent du sujet des fake news et nous invite à faire l’exercice de vérification des informations. Bien que ce soit effectivement très important, ce n’est pas réaliste puisque même un journaliste dont c’est le métier n’arrive pas toujours à relayer une information vérifiée et vérifiable. Donc pour les citoyens et les citoyennes c’est évidemment impossible d’analyser tout ce qui est diffusé dans les fils d’actualité de nos réseaux sociaux. Quand une info nous plait, quand elle entre exactement en écho avec nos idées. On doit être vigilant à ce moment-là.

Est-ce qu’avec les avancées technologiques (deep fake, ….), les fake news ont encore de beaux jours devant elles ?

A présent, on se rend compte que les fake news feront partie de notre paysage audiovisuel. Les innovations technologiques peuvent être super ludiques mais effectivement elles peuvent également permettre de poursuivre des démarches malveillantes. Mais on rejoint ce qui a été dit plus tôt, si une info est trop spectaculaire, notre vigilance doit s’activer. Une info très étonnante mérite d’être questionnée et d’entamer cette démarche de se demander qui a produit ce message,.. et reprendre tout ce cheminement des 5 approches.

Un message particulier à faire passer au public de Bruxelles-J ?

Il faut retrouver confiance en soi par rapport à notre navigation en ligne. Depuis plusieurs années on nous présente un message alarmant, on serait condamné à subir des fausses nouvelles.
La vie numérique fait partie de notre quotidien et sans même suivre une formation spécifique à la détection de fausses informations, notre esprit critique s’éveille déjà fasse à certains contenus qui nous sont proposés. Nous sommes plus intelligents qu’un algorithme. Nous devons donc cultiver cet esprit critique qui est inné en chacun de nous. Il faut avoir confiance dans le fait que nous sommes capables de mener cette réflexion critique et de créer le dialogue.

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