Que nous révèlent les gaz piégés dans les glaces millénaires ? Rencontre avec la doctorante de l’ULB Lisa Ardoin

Cette conversation fascinante avec Lisa Ardoin, doctorante en glaciologie à l’Université Libre de Bruxelles, nous plonge au cœur des glaces millénaires pour nous en révéler ses secrets. Lisa nous éclaire sur le lien entre ces archives glacées et le changement climatique. En explorant les bulles de gaz emprisonnées dans la glace vieille de plus de centaines de milliers d’années, elle nous éclaire sur les variations climatiques naturelles et l’impact indéniable de l’activité humaine depuis l’ère industrielle sur le climat.

Bruxelles-J : Salut Lisa, on est content de faire cette interview avec toi, est ce que tu pourrais te présenter ?

Lisa : Bonjour, merci à vous. Donc je suis Lisa Ardoin. Je suis doctorante à l’université libre de Bruxelles. J’ai commencé ma thèse en glaciologie il y a 2 ans et demi. La glaciologie c’est la science de la glace. Avant ça, je faisais des recherches en France, j’ai une formation de géologue donc j’étais passionnée par les cailloux.

Est-ce que tu pourrais nous expliquer ce que tu fais comme thèse de doctorat ? Et en quoi la glaciologie est reliée aux questions du changement climatique.

Mes recherches portent sur un type de glace bien particulier, qu’on appelle la glace basale. Ces glaces sont à la base des calottes glaciaires, donc soit des glaciers, soit du Groenland et de l’Antarctique. Cette glace est très particulière parce qu’elle a incorporé des cailloux. Donc c’est un mélange de roches et de glace qu’on retrouve très profondément contre le socle rocheux en Antarctique et au Groenland. C’est de la glaciologie puisque je travaille sur de la glace et je mesure le gaz qui est piégé dans des petites bulles dans ces glaces.

Le lien avec le changement climatique, c’est que ces glaces, qui sont naturellement présentes au Groenland et en Antarctique, sont une archive extrêmement importante pour discuter des changements climatiques puisque cette glace a emprisonné du gaz au moment de sa formation. Et ce gaz reflète la composition de l’atmosphère du passé. Donc grâce à cela, on peut reconstituer les changements climatiques du passé jusqu’à 800 000 ans. Par exemple, en Antarctique, on a un enregistrement continu du climat sur une période de 800 000 ans.

Comment faites-vous concrètement pour accéder à ces glaces ? Comment se passe concrètement ta recherche ?

Concrètement, ça commence par aller récupérer les échantillons sur place, donc en conditions extrêmement difficiles. Parce qu’en Antarctique et au Groenland, on est sur des continents glacés, c’est-à-dire qu’on évolue sur une épaisseur de 3 km de glace. C’est énorme !

Et là-bas il fait super froid ! Donc on ne peut pas y aller toute l’année. On peut y travailler entre 3 et 4 mois par an, durant « l’été ». Pour récupérer ces glaces, des équipes de chercheurs et d’ingénieurs forent au même endroit la glace pendant plusieurs années de suite. Comme ça on arrive à aller de plus en plus profondément et à remonter de la glace de plus en plus ancienne. Une fois qu’ils ont foré, on se retrouve avec des tubes de glace d’environ 4,5 m de long et 10 cm de diamètre qu’on doit se partager entre la communauté scientifique et on fait nos analyses sur ces morceaux de glace.

Donc si je comprends bien, sous vide, vous allez détruire la glace que vous avez ramenée pour extraire ces petites bulles de gaz et analyser leur composition chimique.

Exactement.

À partir de ces analyses, donc tes analyses à toi, et puis aussi de celles que tu as héritées du passé, quelles sont les tendances observées au cours de l’histoire ? Qu’est-ce qu’on observe comme évolution ?

En fait, ce qui est génial, c’est qu’en Antarctique, on a récupéré une carotte de glace continue. On a donc un enregistrement climatique continu de 800 000 ans. On observe les variations naturelles des gaz à effet de serre au cours de l’histoire de la Terre. Donc la terre connaît des périodes plus chaudes et plus froides, on parle de périodes glacières et interglaciaires. Et ce qu’on a observé, c’est qu’il y avait un lien entre la température globale de la surface terrestre et cette concentration en gaz à effet de serre.

Actuellement, on est dans une période interglaciaire, donc plus chaude, mais les concentrations de gaz à effet de serre de ces 200 dernières années, depuis la révolution industrielle en gros, présentent des variations complètement anormales comparées à ce qu’on peut observer dans les variations climatiques naturelles des 800 000 ans qui précèdent.

Avant parler de la période récente, tu nous disais que dans vos échantillons, vous voyez quand même des variations de la concentration des gaz à effet de serre dans l’atmosphère terrestre de façon naturelle. Est-ce que tu saurais nous expliquer un peu quelles sont les causes de ces variations ?

Oui, en fait, tout est lié en grande partie à la position de la terre autour du soleil. Et cette position varie dans le temps, de même que l’axe de rotation de la terre. En gros, la Terre ne tourne pas chaque année exactement de la même manière autour du soleil : il y a des petites variations. Ce qui fait que l’énergie apportée par le soleil n’est pas toujours la même dans le temps et cela se reflète notamment sur le climat.

Tu nous disais que dans ces enregistrements, on remarque que depuis le développement de l’ère industrielle, donc disons les 250 dernières années à peu près, un changement dans la composition de l’atmosphère. Est-ce que tu peux nous expliquer un peu plus en détail ce que toi tu observes ?

Depuis le la révolution industrielle, on observe vraiment une influence de l’homme sur la composition de l’atmosphère, et notamment par la combustion des réservoirs d’énergie fossile.
Ça se traduit dans l’atmosphère par une augmentation de la concentration des gaz à effet de serre, notamment CO2 et méthane, dont ces augmentations sont anormales malgré le fait qu’on soit dans une période interglaciaire.

Quel est l’ordre de grandeur de l’augmentation de la concentration de C02 ? Est-ce que c’est +20%, +50%, x2, x3, x10 ?

Pour le CO2, on est sur pratiquement le double. Avant la révolution industrielle, on était à peu près à 280 particules par million(PPM). Maintenant on est à 420. C’est une augmentation qui n’est pas négligeable et sur une très courte période de temps.

Et pour dater la glace, est-ce une datation carbone 14 ou vous procédez autrement ?

On a différentes techniques, on a notamment le carbone 14. On peut aussi se référer aux éruptions volcaniques puisque. Les cendres sont parfois transportées jusque sur les calottes glaciaires, donc au Groenland et en Antarctique. Et souvent, ces éruptions volcaniques sont bien renseignées par d’autres méthodes de datation qu’on peut appliquer sur les cailloux qui sont les produits des éruptions volcanique, sur les laves. Donc ça, ça nous permet de dater, oui.

Est-ce qu’on observe une différence entre les relevés au Groenland et en Antarctique ? Comme la révolution industrielle s’est majoritairement déroulée dans l’hémisphère nord, observe-t-on une différence entre ces régions ?

On n’observe pas de grandes différences par rapport à ça, on observe une évolution de la concentration des gaz à effet de serre générale partout à l’échelle du globe.

Est-ce que tu pourrais nous expliquer plus concrètement dans ce paysage général, sur quoi tu travailles plus précisément dans ta thèse de doctorat ici à l’ULB ? Quelles sont tes découvertes ?

Ma thèse porte sur la glace basale, donc c’est la glace qui est au contact avec le socle rocheux et je viens mesurer les gaz piégés à l’intérieur de cette glace basale. Les glaces sur lesquelles je travaille ont été récupérées à seulement 2 endroits en Antarctique et 5 endroits au Groenland, donc il n’y en a pas beaucoup. Et j’ai accès à 2 de ces carottes ici à l’ULB. En mesurant les gaz on s’est rendu compte que ceux-ci n’étaient plus atmosphériques. On a un signal qui est très différent de l’atmosphère du passé. Comme on a des débris dans la glace, il y a eu des modifications du signal gazeux au contact du soubassement rocheux.

On a observé qu’on avait beaucoup de gaz à effet de serre, de CO2 et de méthane, mais qui sont des gaz qui peuvent être produits naturellement par la respiration et par des processus bactériens. L’hypothèse sur laquelle on travaille, c’est qu’on a eu de l’activité biologique sous 3 km de glace – je trouve ça complètement dingue – et cette activité biologique, on est encore en train de travailler dessus pour savoir si c’est un phénomène récent, qui a lieu encore actuellement, ou si c’est quelque chose qui a eu lieu dans le passé. Donc ce que je mesure maintenant, c’est une vieille respiration, une vieille trace de vie qui a eu lieu sous la glace.

Donc en gros, les glaces que toi tu utilises, on ne peut plus vraiment les utiliser pour évaluer l’atmosphère parce que, vu qu’elles étaient en contact avec la roche, elles ont été un peu modifiées.

Exactement. Je pense que ce qu’on pourrait rajouter qu’on parle des derniers mètres au-dessus du socle rocheux. Comparé à 3 km de glace au-dessus, je travaille vraiment sur une infime partie.

Donc il y a quand même 2,9 km où on sait que c’est climatique.

Oui. Voilà moi je travaille vraiment sur le fond, sur les tous derniers mètres.

Lisa, on parle beaucoup de gaz à effet de serre. J’ai l’impression que tout le monde a à peu près une idée de ce qu’est l’effet de serre, mais ce n’est peut-être pas toujours très précis. Si tu devais nous expliquer à ta manière de jeune scientifique, c’est quoi l’effet de serre, qu’est-ce que tu nous dirais ?

Que l’effet de serre, c’est la capacité de la Terre à retenir l’énergie proche de sa surface. On a besoin de l’effet de serre pour avoir des conditions favorables à la vie à la surface de la Terre. Sans effet de serre, il ferait à peu près -18° à la surface de la Terre. Je ne suis pas sûre qu’on pourrait être ici à discuter.

Et donc en fait, l’effet de serre, c’est juste le fait que la Terre reçoit de l’énergie du soleil. Elle va ensuite renvoyer une grande partie de cette énergie dans l’espace sous forme de rayonnement infrarouge et une partie de ce rayonnement infrarouge est retenu proche de la surface de la Terre grâce au gaz à effet de serre. C’est pour ça qu’ils sont aussi importants.

En fait, quand on augmente la concentration de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, on va garder plus d’énergie proche de la surface de la terre et donc augmenter la température moyenne globale à la surface de notre planète.

Pour en savoir plus

Découvre la 2de partie de l’interview de Lisa dans “Les conséquences du dérèglement climatiques et de nos actions pour réduire notre empreinte carbone” et la 3ème partie “Ne pas agir n’est plus une option

 

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