Réseaux sociaux et santé mentale, y a-t-il un lien? Partie 3: Peut-on parler d’addiction?

Peut-on réellement parler d’addiction aux réseaux sociaux ? Que se cache-t-il derrière un usage excessif de ces plateformes? Pascal Minotte, psychologue et psychothérapeute du CRéSaM, le centre de référence en santé mentale en Wallonie, aborde avec nous les questions délicates de la stigmatisation, de la mauvaise interprétation du terme “addiction” et de l’importance de l’éducation aux médias pour une utilisation saine et équilibrée. 

Le rapport “Adolescence, médias sociaux & santé mentale” suggère un effet curviligne où à la fois l’absence totale et l’usage excessif des réseaux sociaux sont associés à des effets négatifs sur la santé mentale, tandis qu’un usage modéré serait positif. Y a-t-il une utilisation “optimale” des médias sociaux pour préserver sa santé mentale ?

Personnellement, j’aurais tendance à penser qu’il n’y a pas nécessairement d’utilisation optimale. Dans le lien qui existe entre santé mentale et usage des médias sociaux, on va observer que ceux qui ont une utilisation très limitée, voire qui ne vont pas sur les médias sociaux et ceux qui l’utilisent énormément ont plus souvent des problèmes de santé mentale que ceux qui ont une utilisation qui rejoint la moyenne des utilisateurs.

Ceci étant, il ne faut pas y voir un lien de cause à effet. On peut penser que les personnes qui n’utilisent jamais les médias sociaux ou ceux qui les utilisent énormément présentent des difficultés, des problématiques qui ne sont pas liées à leur usage, mais qui sont corrélées à l’intensité de leur usage. C’est une question statistique. Le lien qui est pointé dans le rapport c’est un lien de corrélation et pas de causalité.

Ça vient marquer un rapport à la normalité. Les adolescents qui sont le plus proches de la normalité, notamment dans leurs usages des médias sociaux, sont ceux qui ont le moins de problèmes de santé mentale et inversement. C’est donc délicat d’en conclure qu’il y aurait un bon ou un mauvais usage des médias sociaux.

La question serait plutôt est-ce les réseaux sociaux qui provoque de la souffrance ou est-ce la souffrance qui provoque une utilisation problématique des réseaux sociaux ?

C’est un point important dans le lien qui existe entre médias sociaux et santé mentale. Il est toujours difficile d’arriver à distinguer ce qui est la cause, ce qui est l’origine. Est-ce que les médias sociaux provoquent de la souffrance psychologique chez l’individu ? Ou est-ce que l’individu utilise les médias sociaux de façon particulièrement intense parce qu’il est en souffrance d’une façon ou d’une autre.

Les médias sociaux, mais aussi les jeux vidéo, ont la capacité de nous faire oublier nos soucis en captant notre attention à travers de courtes vidéos de quelques secondes par exemple.

Cette capacité à nous faire oublier nos soucis explique pourquoi certaines personnes ayant de nombreux problèmes se tournent parfois excessivement vers les médias sociaux ou les jeux vidéo. Donc, les médias sociaux ou les jeux vidéos ne sont pas nécessairement la cause première de leur souffrance. Loin de là. Ils représentent plutôt un échappatoire que ces personnes ont trouvé. Bien sûr, cette solution peut éventuellement devenir problématique avec le temps, mais elle n’est pas la cause initiale de leurs problèmes.

Si on se rend compte que cet usage excessif est causé par une souffrance, comment mettre en lumière l’origine de celle-ci ?

On peut faire appel à un tiers pour identifier la source de l’usage excessif, que ce soit un thérapeute ou une personne de confiance avec qui discuter des difficultés rencontrées. Lorsqu’on reconnaît qu’une souffrance se cache derrière l’utilisation excessive des médias sociaux ou des jeux vidéo, l’approche ne devrait pas seulement se concentrer sur la réduction du temps d’usage. Il est plus judicieux de traiter la souffrance sous-jacente. C’est la manière la plus efficace de réguler son utilisation des médias.

Peut-on vraiment parler d’addiction aux réseaux sociaux ou aux jeux vidéo ?

Il me semble en effet délicat d’évoquer une addiction pour qualifier l’usage excessif des médias sociaux, particulièrement lorsqu’il s’agit d’adolescents. Il est impératif de faire preuve de prudence avant d’utiliser des termes de diagnostique médical pour les adolescents, pour diverses raisons.

D’une part, cela comporte un aspect stigmatisant. L’adolescence est une période d’identité fragile, et coller des étiquettes, surtout négatives telles qu’un diagnostic, peut renforcer ces identités négatives et enfermer l’adolescent dans des rôles indésirables.

D’autre part, cela peut générer des représentations erronées chez les adultes qui les entourent, conduisant à des comportements inappropriés. Par exemple, l’idée d’un sevrage total des médias sociaux ou des jeux vidéo n’est pas la solution. Il est essentiel de comprendre l’époque dans laquelle nous vivons. Au lieu de parler de sevrage pour un jeune utilisant abondamment les réseaux, il serait plus judicieux d’éduquer ce dernier sur une utilisation raisonnée, limitée à certaines périodes de la journée. L’approche ne devrait pas être axée sur la métaphore de la drogue, mais plutôt sur l’éducation aux médias.

Personnellement, je crois qu’il est crucial de rester prudent quant aux diagnostics employés. Il vaut mieux éviter d’utiliser le terme “addiction”, surtout si nous ne sommes ni psychologues ni médecins. Parler simplement d’usage excessif est suffisant et évite de stigmatiser les adolescents. D’autant plus qu’il est courant de percevoir ces derniers comme excessifs en de nombreux domaines. Cette étiquette d’addiction donne une image négative des adolescents, ce qui n’est certainement pas souhaitable.

Selon vous, pourquoi est-ce important de ne pas faire cette analogie avec les drogues ?

Je pense qu’il est essentiel de ne pas utiliser abusivement la métaphore faisant référence au toxique ou à une drogue lorsqu’on évoque les médias sociaux. Avant tout, les médias sociaux répondent à plusieurs besoins et désirs non pathologiques des adolescents. L’adolescent a naturellement le souhait d’être en contact étroit avec ses proches. Cette volonté d’être constamment en relation existait bien avant l’ère des médias sociaux. Il n’est donc pas nécessaire d’évoquer une psychopathologie ou de recourir à des métaphores d’addiction pour comprendre cette dynamique. Il n’y a rien de pathologique dans ce désir propre à l’adolescence.

Cependant, il peut être nécessaire d’instaurer une certaine éducation pour réguler cette envie constante de communication. Il y a des moments où la modération est de mise, comme l’heure du coucher par exemple.

Il appartient aux parents de mettre en place un cadre. Lorsque l’on qualifie cette situation d’addiction, on risque de dévaloriser la capacité des parents à intervenir, en suggérant que seul un spécialiste pourrait apporter une solution pour aider leur adolescent par exemple à respecter ses heures de sommeil. Invoquer l’addiction n’est pas nécessaire dans ce contexte.

Les plateformes sont conçues pour passer un maximum de temps dessus. Comment se modérer ? Comment établir des limites saines ? C’est un peu lutter contre quelque chose qui nous dépasse.

Il est indéniable que ces plateformes mettent en œuvre un ensemble de techniques visant à nous captiver le plus longtemps possible. Leur objectif est de retenir notre attention, d’où la célèbre notion d’économie de l’attention.

Face à cela, une éducation aux médias s’avère nécessaire. Il est crucial d’accompagner non seulement les adolescents mais aussi les enfants, les adultes et même les personnes plus âgées. Cette problématique transcende les âges. Il convient de réfléchir et d’instaurer des mesures pour réguler notre « appétit » numérique. Tout comme les entreprises agroalimentaires nous offrent des produits délicieux (mais pas nécessairement sains), il nous appartient de réguler notre consommation.

De nombreuses métaphores pourraient illustrer ce phénomène. En fin de compte, les stratégies marketing, qu’il s’agisse de nourriture ou de contenu digital, « se combattent » ou du moins se régulent à travers l’éducation.

Dans votre note, l’une des recommandations suggère que les parents ou les adultes entourant les jeunes devraient agir en tant que personnes ressources. Quels conseils donneriez-vous à un adulte pour devenir une telle personne ressource ?

Ce principe est transversal dans toute éducation et relation avec les adolescents : les parents doivent manifester une curiosité bienveillante envers les activités des adolescents sur les médias sociaux et les jeux vidéo. Selon moi, cette démarche est essentielle pour encourager les adolescents à se confier en cas de difficulté. La tentation est grande d’imposer des règles strictes pour prévenir des situations problématiques. Cependant, les parents les plus sévères font les meilleurs menteurs. Plus les restrictions seront rigides, plus les adolescents auront tendance à cacher leurs activités en ligne. L’attitude la plus efficace est d’être à la fois bienveillant, curieux et attentif. Cela n’exclut pas la possibilité de donner des conseils ou d’établir certaines limites. L’essentiel est que l’adolescent sente qu’en cas de problème, même s’il a enfreint une règle, il pourra se confier sans crainte. La clé réside dans la capacité de l’adolescent à partager un problème avec un adulte plutôt que de le garder pour lui. Car il est inévitable qu’il rencontre des difficultés, que ce soit sur les médias sociaux ou ailleurs. La manière dont il gérera ces situations dépend en grande partie de son environnement et de l’accompagnement qu’il reçoit.

Quelles seraient vos recommandations pour notre public ?

J’ai des réserves sur les recommandations, car je considère que les psychologues ne devraient pas dicter la conduite des gens. Ce qui me préoccupe, c’est la souffrance, en particulier la souffrance psychologique. Cependant, adolescents et parents agissent selon leurs capacités et leurs valeurs. Si je devais souligner un aspect essentiel, ce serait le sommeil. Son importance pour la santé physique et mentale, ainsi que pour la concentration, est bien documentée. Pour diverses raisons, et pas seulement à cause des écrans, les adolescents peuvent rencontrer des difficultés pour dormir. Il est crucial de veiller à avoir une durée de sommeil adéquate pour maintenir un bien-être optimal.

Votre note va dédiabolise un peu les réseaux sociaux. Que diriez-vous pour qu’un jeune rassure un peu plus ses parents ?

Les adolescents d’aujourd’hui peuvent rappeler à leurs parents que, dans leur jeunesse, ils monopolisaient le téléphone fixe pendant des heures pour discuter avec des amis qu’ils venaient de voir à l’école. Aujourd’hui, les réseaux sociaux jouent ce rôle, car les adolescents ont constamment envie de communiquer avec leurs amis. C’était également le cas pour leurs parents. Ce n’est pas de l’addiction, mais un comportement normal à cet âge. Toutefois, cela ne signifie pas qu’il ne faut pas instaurer des limites. Il est du devoir des parents de réguler cet usage. Pas besoin d’un professionnel pour cela, même si gérer une adolescence conflictuelle peut être épuisant pour les parents. De la même manière, pour les adolescents, avoir des parents toujours en mode “surveillance” peut être lassant, mais c’est le rôle du parent, ça fait partie du jeu.

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Pour lire la note complète de Pascal Minotte : Adolescence, médias sociaux & santé mentale.

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