Cédric et Harald (SOS Jeunes 24h): «On travaille à la demande du jeune» (1/3)

Cette semaine, je me suis rendue chez SOS Jeunes – Quartier Libre AMO à Ixelles.  Derrière la façade d’une maison de maître, le monde insoupçonné de leur accueil 24h/24, géré par 17 intervenants sociaux. Dans l’espoir d’en apprendre plus sur les ‘comment’ et ‘pourquoi’ d’un fugueur ou d’une fugueuse à Bruxelles, j’ai aussi appris un peu plus sur les combats quotidiens d’une majeure AMO (Action en Milieu Ouvert) du terrain, et de deux de ses travailleurs sociaux, Cédric O. et Harald H. que je tiens à remercier de tout cœur pour le précieux temps qu’ils m’ont consacré – et pour la simplicité et la richesse de leurs réflexions et témoignages. Merci, et: respect!

(L’interview sera publié en 3 épisodes.)

En introduction, j’explique à Cédric et Harald de SOS Jeunes 24h que je suis à la recherche  de pistes pour capter un maximum de la réalités autour de ‘La fugue’ à Bruxelles, et je leur demande dès le début de notre entretien de réfléchir à l’endroit où ils vont m’envoyer pour la prochaine étape. Ce Dossier Spécial, c’est comme un jeu de piste: ce sont eux qui me donneront à la fin de l’interview le nom de la personne ou l’institution que je devrai  (tenter de) visiter pour la suite.

Nous montons à l’étage, et prenons place dans l’une des pièces où se déroulent les entretiens. Trois fauteuils en rotin, une petite table basse, des biscuits et du jus. Et un tissu indien au mur. C’est cosy.

  • Qui êtes-vous, et en quoi consiste votre travail ?

C : Je suis Cédric O, travailleur social à SOS Jeunes 24h. On fait du travail social de manière très large. Je fais de l’accompagnement, de l’éducatif, du suivi scolaire, des rencontres avec les profs ou des délégués si les jeunes dépendent du SAJ (Service Aide à la Jeunesse) ou SPJ (Service de Protection Judiciaire), on fait de la recherche de loisirs, d’appartements… On travaille à la demande du jeune ou de la famille.

H : Je suis Harald H, éducateur spécialisé et intervenant social. Chez SOS Jeunes 24h, l’équipe est pluridisciplinaire car nous avons des psychologues, des éducateurs, des criminologues, des sociologues, des assistants sociaux… on a tous la même tâche avec notre propre vision et sensibilité. Dans un souci de continuité, on fait aussi du soutien à la parentalité : nous suivons des jeunes mineurs, et certains deviennent parents très jeunes.  Nous accompagnons également des parents qui disent « Je ne m’en sors pas avec mon enfant. »

  • Et donc vous gérez un accueil 24h/24 dans cette maison. Comment ça se passe, dans la pratique ? Le jeune vient sonner ici la nuit ?

: Notre devise, c’est : « On travaille à la demande du jeune ». On peut donc être sollicités via le SAJ (Service d’Aide à la Jeunesse), l’SPJ (Service de Protection Judiciaire), la Police ou les parents pour une problématique. Un des outils que nous proposons, c’est l’hébergement. Le jeune nous appelle : « J’ai un problème, je ne sais pas où dormir ce soir, est-ce que je peux faire une demande d’hébergement chez vous ? »  Et nous, en fonction des urgences, de l’âge et des disponibilités (car nous avons 4 lits), nous voyons avec lui – ici, il faut se dire, ce n’est pas un centre d’hébergement, c’est une solution de crise, d’urgence et nous pouvons proposer de parler, se reposer, décanter, et l’hébergement fait partie de nos outils.

  • Vous avez le droit d’héberger un jeune en crise pendant combien de nuits?

: Une nuit, renouvelable deux fois. Donc maximum trois nuits.

C : C’est à dire, avant c’était comme ça. Maintenant, avec le nouveau décret, il n’y a plus la limitation de renouvellement. C’est donc ‘une nuit renouvelable’. On essaye de garder la règle d’une nuit renouvelable deux fois car on ne veut pas devenir un centre d’hébergement, ce n’est pas notre rôle. Mais on a plus facile à prolonger si cela se justifie. Si on héberge plus de trois nuits, on va interpeller l’Aide à la Jeunesse du fait qu’il y a un problème.

: SOS Jeunes Quartier Libre est un centre d’urgence, et ‘supplétif’. Nous n’aimons pas ce terme, mais voilà, il n’y a pas assez d’institutions pour pouvoir héberger, et nous avons souvent des demandes non pas de jeunes mais d’autres institutions qui ont besoin de ‘caser’ des jeunes. Donc nous ne voulons pas devenir ce genre d’institution. Trop souvent, on est dans le supplétif mais chez nous l’hébergement se fait dans le but d’améliorer les choses, pas simplement pour ‘caser’.

  • Et donc vous êtes le seul à Bruxelles ?

: En francophonie nous sommes deux, avec Point Jaune* à Charleroi. C’est très peu.

C : Il y a aussi Abaka*, mais c’est un autre modèle. Chez eux souvent 2 entretiens ont lieu avant l’entrée, et c’est une semaine renouvelable une fois.

: Donc ils sont moins dans l’urgence et plus dans le moyen terme. Mais ce n’est pas une AMO* (Action en Milieu Ouvert).

: C’est un PPP* (Projet Pédagogique Particulier).

H: (Admiratif) Joli!

“Tout d’abord, nous avons le secret professionnel, tout ce qui se passe ici ne sort pas d’ici.”

  • Qu’est-ce que vous faites chez SOS Jeunes au niveau de la problématique de la fugue ?

C : Tout d’abord, nous avons le secret professionnel, tout ce qui se passe ici ne sort pas, ni aux parents, ni à la Police. Ensuite nous allons voir ce qui a pu amener à la fugue. Ça se fait en plusieurs temps, car au début de la crise, le jeune et les parents vont se fixer sur ce qui a pu déclencher la fugue, mais en creusant on découvre souvent qu’il y a quelque chose de plus profond, qu’il y avait en effet la goutte d’eau de trop, mais qu’il y a autre chose qu’il faut travailler.

Ensuite, on travaille à la demande du jeune et de la famille. On essaie de proposer un travail familial, de faire une médiation et de trouver un moyen pour qu’il puisse rentrer chez lui (ou elle). On peut héberger. Parfois en cas de fugue on héberge, car une médiation ne se fait pas en un jour non plus. On estime qu’un hébergement permet un travail un peu plus long avant un retour.  Par contre, on doit avoir l’accord parental dans les 24h pour un hébergement.

: On peut proposer une nuitée en urgence.  Légalement, nous sommes tenus à prévenir le responsable légal dans les 24h. Donc parfois le jeune vient à 1h du matin, on ne peut prévenir personne et on attend le lendemain 9h pour prévenir les parents pour permettre de ‘décanter’ d’un côté comme de l’autre. On ne peut pas héberger un jeune qui est déclaré en fugue, légalement parlant. Ça veut dire que nous ne sommes pas protégés légalement pour accueillir un jeune qui est déclaré en fugue.

  • Ça veut dire quoi, déclaré ‘en fugue’ ?

H : Les parents sont allés à la police, et ont signalé que leur enfant comme étant en fugue.

“Le lien de confiance est primordial. Nous ne sommes pas du tout une institution mandatée, et n’avons aucun de pouvoir de décision. Donc SOS Jeunes travaille le lien de confiance. Vis-à-vis du jeune forcément, mais aussi vis-à-vis de la famille.”

H : SOS Jeunes a déjà eu le cas d’un jeune en fugue qui débarque, nous discutons avec lui et que pendant ce temps, les parents l’ont déclaré en fugue à la police. Si le parent l’a déclaré en fugue et qu’ensuite ils ont donné la permission qu’il reste chez nous, ils doivent faire retirer le signalement à la Police. Il est déjà arrivé qu’un jeune sorte pour fumer une cigarette, la Police passe, le reconnait et l’embarque, car les parents n’avaient pas signalé qu’il n’était plus en fugue. Il arrive aussi que des jeunes fuguent de leur institution et nous ne pouvons pas prendre la responsabilité de les héberger sans l’accord de l’institution. C’est le même schéma qu’avec les parents : nous prenons contact avec l’institution, et nous demandons de dé-signaler la fugue, le temps de décanter, reposer les deux partis et faire une médiation institutionnelle afin de mettre les choses en place le plus doucement, le moins violent possible pour le jeune ou la jeune.

C & H : Donc c’est une condition sine qua non : nous sommes obligés d’avoir un accord des parents ou de l’institution, et ensuite il faut dé-signaler la fugue avant d’héberger.

C : Dans les cas de fugue, nous sommes souvent en contact avec la famille. Les parents sont inquiets, nous allons devoir travailler avec la famille aussi. Alors je peux comprendre que les parents ne seraient pas trop contents de travailler avec nous si on avait attendu 24h pour les prévenir que leur enfant était chez nous.

: Le lien de confiance est primordial chez nous. Nous ne sommes pas du tout une institution mandatée, n’avons aucun de pouvoir de décision donc on travaille le lien de confiance. Vis-à-vis du jeune forcément, mais aussi vis-à-vis de la famille. Et on veut être le plus transparent possible.

C : En règle générale ça se passe assez bien. Je pense à une situation récente où je faisais la nuit. Une jeune est arrivée assez tard, en fugue, et j’ai prévenu la maman qui était à ce moment-là à la police pour la rechercher, elle m’a passé le policier au téléphone. Au départ, ils voulaient venir la chercher directement, mais j’ai expliqué que ce n’était pas une bonne idée, car alors rien n’aura été travaillé et la jeune risquait de repartir en fugue après un jour, une semaine ou un mois, et elle n’osera plus revenir chez SOS Jeunes et donc elle risquerait de se mettre en danger, alors qu’ici elle est en sécurité.

(Cliquer ici pour la page web de SOS Jeunes 24h)

(…)

La suite dans 2/3

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