Rencontre avec Grégoire Ryckmans, responsable de la plateforme de fact checking de la RTBF

Les fausses informations ne sont pas un phénomène nouveau mais depuis l’avènement des réseaux sociaux, ces infox circulent à grande vitesse. La lutte contre la désinformation est un enjeu cruciale pour nos sociétés et de plus en plus de services sont mis en place pour déjouer les fake news. Nous avons rencontré le responsable de la plateforme Faky, la plateforme de fact checking de la RTBF.

Bruxelles-J : Pouvez-vous vous présenter et nous dire votre fonction au sein de Faky ?

Grégoire Ryckmans :

Je m’appelle Grégoire Ryckmans, je suis journaliste à la RTBF depuis 2010 et depuis 3 ans je m’occupe d’une plateforme nommée FAKY. C’est à la fois une application et une rubrique où l’on fait du « fact checking », c’est à dire qu’on va rechercher des informations qui circulent sur les réseaux ou des déclarations de politiques / de personnes officielles et on va décortiquer leurs propos pour tenter de démêler le vrai du faux.

Qu’est-ce que FAKY et pourquoi ce projet a-t-il été développé ?

Faky est un projet qui est né dans le cadre de développement un petit peu différent au sein de la RTBF. On a été contacté par une agence qui travaille avec des start-up en Wallonie et qui nous a proposé de de travailler autour de techniques de développement appelées Lean. L’idée était donc de travailler autour du sujet de la désinformation, des fake news, mais aussi du lien qu’on pouvait avoir en tant que média grand public avec des publics parfois plus jeunes qu’on avait un peu plus de mal à toucher. On a eu l’idée de développer une plateforme qui allait permettre à chacun de pouvoir se forger une opinion par rapport à des contenus qu’ils pouvaient rencontrer en ligne. Ça peut être des articles, ou simplement des questions qu’on va poser ou encore  faire de l’analyse d’image. L’idée est donc de rassembler des articles de fact checking qui ont été produits par des confrères de médias francophones et qui décortiquent ce qui circule sur les réseaux sociaux et ce qui touche les gens, que ce soit dans l’espace francophone ou à Bruxelles en particulier. L’idée est de donc d’apporter cette aide à travers une plateforme. En parallèle de ça, on a une rubrique de fact checking où on produit des articles en interne. On va décortiquer des informations qui circulent et tenter d’évaluer leur véracité, ou en tout cas d’essayer d’aller le plus loin possible dans l’analyse, dans les sources et dans ce qu’on peut dire à la fin en termes de véracité ou de fake news. Est-ce que c’est vrai, est ce que c’est faux ? Est-ce que c’est nuancé ? On essaie de d’aller le plus loin possible pour tenter de donner une information claire aux utilisateurs.

Alors pratiquement, comment Faky démêle le vrai du faux ?

Alors, il y a les 2 côtés donc d’un côté il y a la rubrique où vous pouvez poser une question très simplement, et on va vous renvoyer vers des articles qui vont répondre à ces questions.
Et puis nous-mêmes, on essaie de répondre à vos questions. Par exemple, récemment on a travaillé sur la question de « Hitler était-il juif ? », puisque le ministre des Affaires étrangères russe déclarait  que Hitler était juif. Nous, ça nous a interpellé. Ça a interpellé beaucoup de monde, il y a eu beaucoup de réactions. Donc nous avons voulu savoir ce qu’il en était. Quels sont les faits ? Qu’est-ce qu’on peut en dire ? Qu’est-ce que les historiens en disent ? Qu’est ce qui a été écrit à ce sujet ? Finalement est ce que c’est plutôt vrai, plutôt faux ? Là en l’occurrence c’était faux, il n’y a aucune preuve scientifique et donc nous essayons de creuser le plus loin possible pour apporter l’information, la plus objective mais aussi la plus fouillée possible à l’utilisateur.

Bruxelles-J : Qui sont vos partenaires et pourquoi avoir mis en place ce partenariat ?

On a pas mal de partenaires au sein de la plateforme Faky, des partenaires de médias francophones qui ont des rubriques de fact checking, comme France Info, France 24, Le Monde qui ont accepté de nous partager leurs contenus.

On utilise aussi des outils journalistiques comme l’outil Decodex du Monde. À côté de ça, on a beaucoup de collaborations, notamment avec la VRT, le service public flamand, avec qui on a des réunions régulières, on échange, on essaie de voir si à certains moments, on ne peut pas travailler ensemble sur certains dossiers, sur certains sujets.

À côté de ça, on a aussi des partenariats au niveau européen. On fait partie d’un hub où on travaille avec l’AFP, RTL Luxembourg pour partager des contenus de fact checking mais aussi avec des chercheurs, notamment de la VUB et de Saint Louis. On travaille sur des questions de recherche, d’éducation aux médias qui sont liées justement à ces cette thématique de la désinformation.

Depuis quelques années, avec les élections américaines, et même françaises, avec la pandémie, on remarque qu’il y a plus en plus de personnes, de citoyens qui sont méfiants vis-à-vis des médias traditionnels, dit mainstream. Comment, selon vous, peut-on garantir une information neutre et indépendante ?

C’est une excellente question.

Je pense que garantir une information neutre et indépendante, ça dépend évidemment des pouvoirs publics. Nous avons la chance à la RTBF, d’être financé par des moyens publics. Il y a une partie de d’argent privé aussi. Notre indépendance est garantie au niveau éditorial puisqu’il y a des garde-fous par rapport à l’info, donc on respecte le code de déontologie journalistique et l’indépendance de la rédaction est une valeur essentielle, c’est à dire que nous, on n’a pas de d’appel qui viennent d’en haut pour nous dire tel ou tel sujet doivent être traités. Donc l’indépendance des médias, c’est ça.

Il y a aussi la pluralité de l’information qui est importante. Avoir des médias qui peuvent être parfois « d’opinion » et qui vont représenter différents pans de la société avec des tendances qui sont variées. Mais donc ici, en tant que service public, nous on est financé par des moyens publics, mais il y a des garde-fous qui sont présents avec un code de déontologie et avec la garantie que notre travail se fait en toute objectivité et en toute neutralité.

Et comment redonner confiance aux citoyens par rapport aux médias dit mainstream ?

Alors ça c’est un fameux challenge ! C’est un gros défi. Je pense qu’un des aspects important est de pouvoir toucher un maximum de gens. Si on regarde le JT par exemple, on s’aperçoit qu’on a un public très âgé qui regarde le journal télévisé le soir. On remarque que les jeunes ne sont plus vraiment derrière leur télé, donc c’est important de pouvoir aussi aller sur les plateformes où ils sont présents, de pouvoir leur parler là où ils sont, d’aller les toucher là où ils se trouvent, de leur faire comprendre aussi qu’un média comme la RTBF, ça peut paraître un média ancien, vieux, mais on a aussi des initiatives sur d’autres réseaux. On essaie d’y adopter un ton un petit peu différent, d’aller leur parler. C’est aussi de sensibiliser ces utilisateurs à d’autres thématiques. On peut aborder les choses parfois de façon plus légère aussi, et puis les amener à s’intéresser à d’autres sujets. Et donc l’idée, c’est vraiment d’essayer de toucher le public, de changer parfois un petit peu de ton aussi, d’avoir un ton un peu plus direct, d’être parfois un peu plus cash ou un petit peu plus pédagogique que pour les plus jeunes par exemple.

Pouvez-vous expliquer à notre jeune public pourquoi la liberté de la presse et la lutte contre la désinformation sont des garanties de la démocratie?

Ce sont deux points très différents. Pour la liberté de la presse, je pense que c’est essentiel pour la démocratie d’avoir des journalistes qui puissent mener des enquêtes, traiter de tous les sujets, qu’ils puissent dénoncer parfois des manquements ou en tout cas faire des enquêtes qui ne plaisent pas aux puissants. C’est essentiel d’avoir cette indépendance et de pouvoir remettre en cause parfois des décisions, des changements ou des choses qui ne devraient pas se passer comme elles se passent. Les journalistes sont là pour défendre les intérêts de chacun et surtout pour donner une information la plus objective possible pour que chacun puisse prendre des décisions, notamment au moment d’aller voter. Pour avoir un avis qui soit fondé sur des faits et pas seulement sur des opinions, c’est important d’avoir une presse libre qui peut justement rapporter les faits tels qu’ils sont et sans avoir des pressions des puissants qui voudraient contrôler une partie de l’information.

Alors la 2e partie, c’est la désinformation. La désinformation, on l’a vu, elle a explosé ces dernières années. Il y a toujours eu de la désinformation sous d’autres formes. On a connu les rumeurs, les légendes urbaines etc. Avec l’arrivée des réseaux sociaux et du digital, il y a eu une explosion de cette désinformation. Enormément de plateformes, des endroits sur le web où il n’y a pas de modération, où des propos totalement faux sont énoncés. Et aussi le risque de se retrouver dans des bulles algorithmiques avec des réseaux sociaux qui ont un intérêt à ce que vous restiez un maximum de temps sur leur plateforme. Pour cela, ils vous proposent des contenus de plus en plus dans le carcan de votre pensée et adaptée à vous afin que justement vous soyez confortés dans vos opinions plutôt que confrontés à du débat. Et donc ça, c’est un enjeu majeur. Pour lutter contre cette désinformation, il faut avoir une pluralité d’informations, pouvoir exercer son esprit critique et de pas rester enfermé dans des pensées qui parfois vont mener certains jusqu’à l’extrême.

Au lendemain de la publication du classement mondial de la liberté de la presse. Comment améliorer la situation en Belgique, qui est passé de la 11e à la 23e place ?

Je pense qu’en Belgique, on n’a pas trop à se plaindre. Alors effectivement, c’est un recul, donc ce n’est jamais une bonne nouvelle pour nous, mais je pense que globalement en Belgique on a quand même une presse libre, on a une presse indépendante, il y a une presse d’opinion aussi.

Comment améliorer les choses ? Je pense simplement que le nerf de la guerre, c’est souvent les moyens, donc c’est pouvoir donner les moyens aux rédactions de produire une information de qualité.  Le défi pour ses organes de presse est de savoir comment se financer sur le digital puisqu’on sait que, pendant longtemps, c’est la télévision et un petit peu la radio qui attiraient beaucoup de moyens. Maintenant on est plus dans le digital donc il y a une réflexion qui doit se faire sur comment trouver des modèles qui permettent de financer un journalisme de qualité et qui permettent aussi de toucher les utilisateurs là où ils sont.

Le fact checking est un des outils de lutte contre la désinformation. Mais pourquoi vérifier quelque chose quand on pense qu’elle est vrai ? Il y a un flux d’information trop important pour vérifier toutes les informations qui passent. Que faire, quels sont les signaux qui doivent nous alerter ?

Par rapport à un contenu qui peut être problématique ? Alors il y a plusieurs signaux qu’on peut détecter. Souvent, il faut faire attention au titre. Si on a tendance à vous solliciter d’une manière ou d’une autre, à vous interpeller, à utiliser le « vous », à utiliser parfois des phrases un petit peu choc ou par exemple à mettre des points d’exclamation pour attirer votre attention, c’est parmi les éléments qu’on va regarder où on se dit que peut-être la personne qui a publié l’information a un intérêt derrière, un intérêt à manipuler ou à changer un petit peu votre façon de voir les choses. Ou justement à corroborer les thèses auxquelles vous croyez, et donc les indicateurs, c’est aussi des sources anonymes. On sait qu’aujourd’hui n’importe qui peut poster n’importe quoi sur les réseaux sociaux, donc il faut être très prudent effectivement. Et se dire que si jamais l’information est énorme, parfois on a des infos qui paraissent vraiment énormes qui circulent sur votre fil d’actualité, sachez que en tant que média traditionnel, s’il y a une information importante, forcément c’est important pour nous de ne pas passer à côté et de vous la transmettre aussi. Donc c’est important de vérifier ses sources, de les recroiser, de voir qui a publié la même information et comment est-ce qu’elle est étayée ? Qui on cite ? Qui sont les personnes derrière ? Quelles sont les sources primaires et les remonter pour comprendre. Et surtout avoir du recul par rapport aux images, parce qu’on est beaucoup dans un monde d’image. Une photo est facilement manipulable. On peut facilement la sortir de son contexte. Aujourd’hui, on a aussi des vidéos qui peuvent être facilement modifiées avec des logiciels, par exemple, les Deep fake, ce sont des vidéo ou des dirigeants politiques paraissent tout à fait normaux et tiennent un discours parfois surprenant, simplement avec l’intelligence artificielle. Il y a des techniques aujourd’hui pour faire dire n’importe quoi à n’importe qui et donc en sachant ça, il faut avoir du recul, ne pas être crédule, surtout ne pas partager l’information tout de suite, essayer de remonter, aller voir si d’autres sources en parle et qu’est-ce qu’elles en disent. Et à partir de là se faire une opinion avec un esprit critique.

Quelque chose à dire à notre public qu’on aurait pas encore dit ?

Je voudrais juste dire qu’on a de la chance aujourd’hui, on vit dans un monde où l’information circule et circule facilement. On a accès à énormément de choses. Par contre, il faut parfois être prudent. Il faut prendre le temps de s’arrêter un petit peu, d’aller vérifier soi-même ou de demander à des personnes de vérifier pour vous. Nous par exemple, on a un formulaire de contact, les gens peuvent nous poser des questions. Ils peuvent nous renvoyer des contenus et nous demander ce qu’on en pense. Il n’y a pas d’idées toutes faites, il ne faut pas arriver avec des idées où on sait déjà à l’avance ce qu’il en est. Il faut parfois se remettre en question et se demander pourquoi cette information a été publiée. Gratter un petit peu et surtout essayer de sortir parfois de sa zone de confort. Ne pas rester forcément tout le temps sur les mêmes médias qui disent la même chose mais peut être aller voir des médias qui tiennent un autre discours, mais tout ça avec un esprit critique pour justement vous forger une opinion qui soit basée sur les faits et pour que vous ayez des arguments solides pour pouvoir débattre, une fois que vous avez des débats d’opinion avec des camarades ou des collègues.

Merci!

Retrouve d’autres articles sur le sujet dans notre rubrique Actu.

Poser une question

N’hésite pas à nous poser une question, un professionnel faisant partie du réseau Bruxelles-J te répondra. Nous préservons ton anonymat et ton adresse de messagerie ne sera pas publiée.

En cliquant sur "envoyer votre question", vous acceptez notre politique de confidentialité.

*
*
*

4 questions déjà posées

  1. Xt
    10 septembre 2022

    Le journal le soir a public un article disant que 75% des loyers n’étaient pas indexes. Comment a t il ces chiffres puisque les baux sont privés?

    Répondre
    1. CIDJ (informateur certifié)
      15 septembre 2022

      Bonjour Xt,

      Nous ne pouvons pas te fournir une réponse complète, car nous n’avons pas eu accès à l’article auquel tu fais référence.

      Les bailleurs ont le droit d’indexer le loyer chaque année, mais ce n’est pas automatique. Iels doivent en faire la demande écrite à leurs locataires.

      La demande d’indexation ne doit pas être transmise à un “organe de contrôle” pour vérification, il est donc difficile d’estimer le nombre de loyers qui ont été indexés, ou non.

      Il est toujours possible de contacter la rédaction du journal ou même, l’auteur·e de l’article pour demander un complément d’informations ou de citer sa source.

      Bien à toi,

      Répondre
  2. Prune
    7 août 2022

    Bonjour, est-il possible de savoir où en sont les plaintes contre Christian Perrine et Didier Raoult s’il vous plaît ?

    Répondre
    1. Bruxelles-J (informateur certifié)
      8 août 2022

      Bonjour Prune,

      Le professeur Raoult étant à l’âge de la retraite, il semble qu’il ait été convenu de le laisser partir en retraite sans l’exclure de l’Ordre des Médecins puisqu’il n’allait de toute façon plus pratiquer. Pour le cas de Christian Perrone nous n’avons pas pu trouver d’informations récentes.

      Bien à toi,

      L’équipe de Bruxelles-J

      Répondre