Quelles actions et stratégies pour lutter contre le changement climatique? – Rencontre avec Joachim Piret, doctorant à la VUB

Cette discussion s’inscrit dans une série d’interviews visant à apporter un éclairage scientifique sur le changement climatique.

Dans cette interview, nous explorons le domaine de la glaciologie avec Joachim Piret, doctorant à la VUB. Il se concentre sur l’étude des glaciers continentaux qui contribuent à l’élévation du niveau des océans lorsqu’ils fondent.

Bruxelles-J : Comment pouvons-nous agir à un niveau sociétal et à un niveau individuel pour limiter notre impact sur la fonte des glaciers ? Les petits gestes du quotidien ont-ils vraiment un impact ?

Joachim : En tant que société, il est crucial de comprendre les causes du réchauffement climatique qui sont principalement dues aux émissions de gaz à effet de serre. Ces gaz sont émis depuis longtemps, et particulièrement depuis le début de la révolution industrielle. Durant cette période, nos sociétés ont intensifié leur production grâce à la combustion d’énergies fossiles. Ces énergies libèrent une quantité astronomique d’énergie mais en même temps libèrent aussi des quantités importantes de gaz à effet de serre dans l’atmosphère.

Lorsque nous ajoutons des gaz à effet de serre dans l’atmosphère, cela revient à ajouter des couvertures sur la Terre. Notre planète ne parvient plus à évacuer sa chaleur et elle se réchauffe progressivement. Ainsi, il existe un lien direct entre la concentration de CO2 dans l’atmosphère et l’augmentation de la température.

D’un point de vue politique, il est essentiel de réduire, voire d’éliminer, les émissions de gaz à effet de serre. De mon point de vue, il existe principalement deux moyens pour y parvenir : décarboner nos économies et exploiter les technologies actuelles qui permettent une production climatiquement neutre.

Cependant, nous ne sommes pas encore capables de produire de manière climatiquement neutre certains matériaux, comme le béton, par exemple. Il est donc nécessaire que nos gouvernements trouvent des solutions pour décider collectivement comment s’assurer que notre production respecte nos engagements climatiques, à travers l’innovation technologique et une limitation de la production, ainsi qu’une redistribution plus équitable de cette dernière.

Bruxelles-J : En tant que chercheur, penses-tu que le nucléaire puisse aussi être une solution, ne serait-ce que temporaire, face à cet enjeu ?

Joachim : Bonne question. Personnellement, je pense que oui, mais ce qui me préoccupe, c’est que le nucléaire risque d’être perçu comme une solution miracle qui occulte la nécessité de réduire notre production. En optant pour le nucléaire, on pourrait croire que nous avons trouvé la solution et que nous pouvons continuer comme avant. Or, nous devrons de toute façon changer notre mode de vie et notre manière de produire si nous ne voulons pas dépasser les limites planétaires.

Bruxelles-J : On observe encore beaucoup de climatoscepticisme concernant ces questions. En tant que scientifique, peux-tu nous éclairer sur le rôle de l’humain dans le dérèglement climatique ?

Joachim : Le climat de la Terre connaît des variations naturelles. Le changement climatique attribué à l’activité humaine sur ces 200 dernières années que nous observons actuellement, nous montre un taux de réchauffement sans précédent sur au moins les 800 000 dernières années.

Les réchauffements d’origine naturelle, que l’on peut relier à des éruptions volcaniques ou à des changements astronomiques liés à la position du Soleil influençant la quantité d’énergie reçue par la Terre, sont des phénomènes nettement plus lents. Le réchauffement climatique d’origine humaine se manifeste à une vitesse inédite, et il existe une corrélation absolue entre le taux de CO2 dans l’atmosphère et la température. De plus, on sait que cette augmentation de CO2 est directement liée à nos activités industrielles et à notre production.

Bruxelles-J : La preuve principale réside donc dans la rapidité de ces changements. Quelles en sont les conséquences pour les écosystèmes ? Les changements surviennent si rapidement que les espèces n’ont pas le temps de s’adapter et finiront par disparaître?

Joachim : Oui. Il est probable que certaines espèces n’aient pas pu s’adapter dans le passé, mais la différence aujourd’hui est que nous, en tant que société humaine, sommes conscients de cet enjeu. Nous savons que cela peut affecter nos sociétés, voire potentiellement détruire la civilisation. Et nous disposons encore pleinement des moyens, des outils nécessaires pour lutter et assurer un avenir durable à l’humanité. C’est là toute la différence. Puisque ces changements sont d’origine humaine, nous avons un levier sur eux, car nous en sommes les responsables. Dans le passé, les changements étaient dus à des facteurs comme le soleil, et contre cela, nous ne pouvions rien faire. Mais en ce qui concerne les émissions de CO2, nous pouvons agir.

Bruxelles-J : Que peut-on faire à son échelle pour aller dans la bonne direction ?

Joachim : En réalité, c’est une question assez complexe. Avec nos structures de pouvoir actuelles, nous avons parfois l’impression d’être dépossédés de notre capacité d’action, d’être en quelque sorte éloignés du pouvoir. Vous avez déjà mentionné des petits gestes, comme réduire sa consommation de viande ou changer ses habitudes de déplacement. Ces actions ont un quand même un impact significatif sur le climat, comme le montre une étude de Carbone 4, un groupe de recherche parisien. Cette étude indique que si les gens adoptaient un comportement réellement exemplaire, environ un quart de l’effort climatique pourrait provenir de ces petits gestes.

À côté de cela, les trois quarts de l’action nécessaire proviendraient de mesures collectives. Donc de la manière dont nous allons réorganiser notre production industrielle et agricole, nos systèmes de transport, la production de notre chauffage et de notre électricité, ou encore la construction de nos écoles et hôpitaux. Tout cela nécessite une action politique et, selon moi, il est essentiel de politiser la question du changement climatique. Mais nous nous rendons compte que les responsabilités sont différées et que certains intérêts sont opposés à la lutte contre le changement climatique.

Prenons l’exemple des « bombes carbone » : en 2020, 425 projets d’extraction d’énergies fossiles étaient prévus et ils sont toujours en cours. Si ces projets se concrétisent, ils émettront le double de CO2 que nous pouvons encore nous permettre d’émettre pour limiter le réchauffement climatique à 1,5°C. Ces projets illustrent l’importance de penser collectivement, de créer des structures locales pour militer et mettre en lumière ces enjeux. Il est capital de s’organiser, que ce soit via des partis politiques ou l’activisme, pour dénoncer les actions des conseils d’administration des multinationales, des banques qui financent ces projets, et des assurances qui les couvrent. En parallèle, il faut faire les gestes individuels, mais à l’échelle de ce qui est possible pour chacun.

Bruxelles-J : Si tu avais un dernier mot pour les jeunes qui nous suivent, toi qui es très informé sur ces sujets, comment peut-on garder espoir ? Comment rester motivé en se disant qu’il est encore possible d’agir ?

Joachim : Les projections scientifiques actuelles, comme celles présentées dans les rapports du GIEC, montrent clairement que les choix que nous faisons aujourd’hui auront un impact considérable, que ce soit sur les glaciers ou sur tous les autres aspects climatiques de demain. Si nous ne prenons aucune mesure, les conséquences pourraient être désastreuses, tant sur le plan financier que humain. Mais nous avons aujourd’hui la possibilité d’agir et la capacité de limiter ces effets. C’est cette possibilité d’action qui doit nous donner de l’espoir. C’est à la fois une source d’espoir et une responsabilité. Et c’est précisément ce pouvoir d’action qui nous est donné qui est remarquable.

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